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blog de Lisha

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30 avril 2007

une croisière à bord d'un paquebot chinois en 1983

    "Voyageurs, camarades, le magasin numéro un va bientôt fermer ses portes, dépêchez-vous. Vous y trouverez cigarettes, alcools et autres produits, bien meilleur marché qu'à Hong Kong", annonce une voix suave, sur un fond de musique occidentale.

   Nous sommes sur un paquebot chinois, le "Jimei", qui assure chaque semaine la liaison entre la ville de Xiamen (ex-Amoy), juste en face de l'île de Taiwan, et le territoire britannique de hong kong.

   A bord du "Jimei", tout est fait pour préparer le voyageur qui quitte la Chine communiste à son arrivée à Hong Kong, quelque 18 heures plus tard.

   Ce qui est vendu à bord du bateau, notamment les consommations servies au bar, est payable exclusivement en dollars de Hong Kong et non pas en "certificats de devises" comme c'est le cas pour les étrangers en Chine ou en renminbi, la monnaie chinoise.

   Sur le "Jimei", la lutte contre la "pollution spirituelle", venue de l'Occident, fait curieusement bon ménage avec la musique et les chansons sentimentales de Hong Kong et de Taiwan, diffusées en permanence par les haut-parleurs.

   Ces chansons qui en d'autres lieux seraient dénoncées comme pornographiques, ne choquent personne ici, pas même les employés du bateau, pour la plupart originaires du Fujian, la province cotiere située en face de Taiwan.

   Personne ne semble surpris d'entendre des bulletins de nouvelles qui, diffusés en alternance avec de la musique "décadente", invitent les passagers chinois à combattre la "pollution spirituelle", nouvelle campagne politique lancée le mois dernier par les autorités de Pékin et dirigée contre les partisans d'une libéralisation du régime.

   Dans la salle de cinéma du bateau sont projetées des video enregistréees sur les chaines en langue cantonaise de la télévision de Hong-Kong. Chaque spectateur acquitte sans sourciller un droit d'entree de 3 dollars de Hong Kong.

   Les passagers du "jimei" sont en grande majorite des Chinois d'outre-mer qui retournent à Hong Kong après avoir rendu visite à leurs familles vivant au Fujian et plus particulièrement à Xiamen, l'un des principaux points de départ de la vague d'émigration chinoise dans le sud-est asiatique au 19è siècle et au début du 20è siècle.

   Ceux-ci repartent généralement lourdement chargés, leurs bagages remplis de spécialités locales et de médicaments traditionnels chinois. A l'aller, ils avaient déjà apporté téléviseurs, magnétophones, ventilateurs ou autres appareils électroménagers à la famille restée en Chine.

   Le bateau, qui peut recevoir jusqu'à 600 passagers, n'est comble qu'au moment des grandes fêtes chinoises, propices aux retrouvailles familiales, principalement le nouvel-an chinois.

   "Les jeux d'argent, le colportage et l'ivresse sont strictement interdits à bord", proclame un réglement affiché dans toutes les cabines du bateau.

   Le lendemain matin, juste avant l'entrée du "Jimei" dans les eaux territoriales de Hong Kong, le passager est brutalement tiré de son sommeil par une annonce tonitruante diffusée toutes les cinq minutes: "le petit déjeuner est servi au bar, avec lait et café". "Des crevettes, des crabes et de la viande de mouton fraiche sont en vente au magasin numéro un", précise-t-on pour ceux que le petit dejeuner de type occidental pourrait rebuter.

   

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21 février 2007

Des combines qui ne datent pas d'hier

En 1983 déjà.....

     Un chauffeur qui refuse de livrer certains restaurants, des plombiers qui menacent de saboter leur travail faute de pourboires, des trafiquants de bicyclettes: autant d'exemples de combines utilisées en Chine en 1983 pour arrondir les fins de mois sans enfreindre trop manifestement la loi.

      Les combines ont pris une ampleur impressionnante, témoignant de l'ingéniosité de leurs inventeurs. L’une des pratiques les plus répandues consiste à se servir de son emploi pour se procurer des avantages annexes. Dans le cas d'un simple ouvrier, les possibilités sont certes limitées, se bornant généralement à "emprunter" discrètement quelques matériaux appartenant à l'entreprise. Mais la situation change radicalement des lors qu'il s'agit d'un emploi "stratégique" tel que celui de responsable du parti, chef d'entreprise ou médecin, voire – ce qui est plus surprenant - dans des professions plus ordinaires telles que celles de chauffeur ou même de plombier.

     La presse chinoise a rapporté le cas de plombiers à Canton qui exigeaient d'importants pourboires pour effectuer correctement les travaux qui leur étaient confiés.

     A défaut de « pourboire », ces plombiers négligeaient leur travail ou abandonnaient tout simplement leur poste, et ce, en dépit des consignes de la compagnie d'Etat les employant.

    Une autre des nombreuses sinécures de la Chine post-maoiste est la profession de chauffeur. Outre le fait qu'elle donne accès à des bons d'essence, qui font l'objet d'un florissant marché noir, cette fonction peut aussi donner droit à de surprenants avantages gastronomiques.

     Le journal pékinois "Beijing ribao" a protesté récemment contre la pratique largement répandue consistant pour les restaurants à nourrir gratuitement les chauffeurs qui leur livrent du charbon, de la bière ou tout autre marchandise. "Certains chauffeurs ne livrent plus que dans les restaurants où la nourriture est bonne", commentait le journal en citant le cas d'un restaurateur peu avisé qui avait eu la mauvaise idée de refuser de servir gratuitement un livreur. Pour se faire pardonner cette grave offense, le restaurateur dût offrir plusieurs festins aux dirigeants de la compagnie de transports dont dépendait le livreur, avant d’être à nouveau approvisionné normalement.

     Un autre emploi très en vogue est celui « d'intermédiaire » qui n'existait pas auparavant mais qui a connu dernièrement un développement tout-à-fait spectaculaire, parallèle à celui de la nouvelle politique agricole mise en place dans les campagnes. Il parcourt les communes des environs de la ville pour acheter, parfois de force, des fruits et des légumes avant de les revendre sur les marches libres de la capitale en empochant de substantiels bénéfices. La combine devient parfois de l'escroquerie pure et simple.

    Un journal chinois a dénoncé le cas de revendeurs très astucieux qui avaient mis sur pied un vaste réseau de fabrication de bicyclettes imitant les cycles de grandes marques, dans la province du Hebei (autour de Pékin). Le journal a expliqué que cette activité illégale avait pu se poursuivre pendant quatre ans parce que tout le monde y trouvait son compte: les paysans qui fabriquaient les bicyclettes, les « intermédiaires » qui les revendaient au marché noir et même les banques qui finançaient ce commerce illicite.

     Les seuls à se plaindre étaient les acheteurs qui, croyant acquérir des bicyclettes réputées, se retrouvaient en fin de compte avec des engins de mauvaise qualité.

     Le phénomène touche également, selon la presse officielle, les montres, les cigarettes et les alcools de marque ainsi que certains produits alimentaires. Les citadins écrivent périodiquement aux journaux pour expliquer comment ils se sont fait rouler en achetant sur un marché libre des oeufs de 100 ans qui étaient en fait des patates douces habilement maquillées, ou encore des boites de chocolat remplies de pierres.

     Pour qui n'a pas la chance d’avoir une profession en vue, il ne lui reste qu’à en inventer une. La presse a signalé l'apparition de faux journalistes se prévalant de cette qualité pour obtenir divers avantages allant des gâteaux dans une pâtisserie aux faveurs d'une femme. Un ingénieur de Pékin, n'a, quant à lui, pas hésité à se faire passer pour un policier afin d'obtenir de l'argent d'une façon originale. Il repérait les hommes en train de se presser contre des femmes dans les autobus ou dans les magasins, puis il les abordait, un peu à l'écart, pour leur demander une petite "compensation financière" en principe destinée à la victime. En réalite, l'argent ne ressortait jamais de sa poche.

4 janvier 2007

l'épicier français d'Oulan Bator

Début 2000... à 10.000 km de la France

    A 10.000 km de chez eux, le Corse Marc Cassetari et son complice Sébastien Marneur, qui vient de la région Centre, ont bravé le froid et la difficulté en venant s'installer à Oulan Bator, la capitale mongole.

   Le premier dirige depuis 4 ans le Café de France, le seul restaurant français d'Oulan Bator, tandis que le second s'occupe d'une épicerie française, visant à approvisionner les étrangers mais aussi les Mongols fortunés, notamment ceux ayant vécu à l'étranger.

   "Je me suis installé à Oulan Bator par amour" explique Marneur, 32 ans, qui a quitté Dreux  il y a une dizaine d'années pour l'Asie, avant d'atterrir dans les grandes avenues rectilignes d'Oulan Bator, une ville austère de 800.000 âmes, au milieu de steppes arides.

   Pékin, la métropole la plus proche, est à deux heures d'avion, tandis que Moscou se trouve à près de 9 heures.

   Mal rasé "parce que l'eau chaude est coupée depuis plusieurs jours", l'épicier admet que la vie n'est pas facile, malgré la présence à ses côtés de son amie mongole, qu'il s'agisse de l'apprentissage de la lanque ou de l'accès aux soins.

   Mais les affaires marchent plutôt bien, car la société Mondifrance qu'il dirige approvisionne les principaux hotels et grands magasins de la ville en produits français. Ses produits sont "à peine plus chers qu'à Paris",  dit-il, en raison de droits de douane modestes appliqués aux produits importés.

   L'épidémie de fièvre aphteuse qui sévit en Mongolie l'empêche de vendre de la viande et des fromages, mais il prend la chose avec philosophie. "C'est facile de s'intégrer ici" remarque-t-il.

   500 mètres plus loin,  Marc Cassetari, gagne sa vie au Café de France, lieu de rendez-vous des jeunes Mongols branchés et des rares Français présents en permanence à Oulan Bator.

   Avec une carte essenitellement corse, le jeune homme qui vient de Propriano a su attirer la plupart des étrangers d'Oulan Bator, diplomates et salariés d'organisations internationales, auxquels viennent s'ajouter les touristes en été.

   Les relations avec son personnel local (une vingtaine de personnes) sont souvent tendues, comme c'est le cas avec les autorités. "Les Mongols sont fiers et têtus, comme les Corses, car ils sont dans un pays enclavé" explique-t-il, en racontant ses démêlés avec le bureau des affaires sanitaires qui lui ont valu de payer une amende de 200 USD pour des crottes de mouche sur un abat-jour.

   Arrivé en 1998 en Mongolie pour prendre la succession de son frère qui avait ouvert le Café de France l'année auparavant, en tandem avec un partenaire mongol, il a travaillé d'arrache pied depuis, dans un pays longtemps communiste mais qui s'efforce de réussir sa transition vers l' économie de marché.

   Comme Sébastien, il a dû s'habituer à des températures avoisinant les moins 40 degrés celsius en hiver, et à un été qui dure à peine deux mois.

   "Je suis venu pour changer d'air, parce que j'en avais assez de travailler en France" explique-t-il simplement. Il est aujourd'hui marié à une Mongole, comme de nombreux autres étrangers à Oulan Bator.

17 novembre 2006

La colonisation du Tibet

     les hésitations de Pékin en 1983...

  (NDLR: elles ont totalement disparu depuis)

Dans un souci d'apaisement,  les autorités chinoises ont entrepris de modifier sensiblement leur politique de colonisation systématique du Tibet, lancée dans les années 50.

   En l'espace de 3 ans, plus de 20.000 colons chinois ont été rapatriés, faisant passer le pourcentage des Chinois-Han (de souche chinoise) dans la population du Tibet de 7,6 % en 1979 à 4,8 % en 1982, selon des chiffres officiels fournis à un groupe de journalistes étrangers en visite à Lhassa.

   La population totale du Tibet s'élevait à 1,89 million d'habitants l'an passé, dont seulement 96.000 Han, un chiffre qui ne tient toutefois pas compte des effectifs militaires qui restent un "secret d'Etat" mais que les experts occidentaux évaluent entre 100.000 et 300.000 hommes.

   Le directeur du bureau des minorités du Tibet, Yong Pei, reconnaît toutefois que le rapatriement des civils chinois se fait moins vite que prévu par une décision prise en 1980, à la suite d'une visite du numéro un chinois, Hu Yaobang, dans la région autonome.

   Les autorités chinoises avaient alors annoncé que près de 85 % des cadres Han devaient être remplacés par des Tibétains avant la fin de 1983, afin, précisait-on alors, de mieux tenir compte des "particularités locales" tibétaines.

   "Ce travail se poursuit", a indiqué M. Yong qui a toutefois reconnu qu’il s’agissait d'une tâche "extrêmement complexe" qui se heurte à « de nombreuses difficultés ».

   Parmi celles-ci, M. Yong a cité la nécessité de trouver des remplaçants tibétains qualifiés, ainsi que de nouvelles affectations pour les cadres chinois rapatriés.

   Il a précisé que dans un premier temps, les autorités du Tibet avaient décidé de réduire le nombre des cadres administratifs et des employés Han, tout en continuant a "persuader" les techniciens et les scientifiques de rester au Tibet.

   Selon les chiffres officiels fournis à Lhassa, le pourcentage des cadres d'origine tibétaine -qui atteignait seulement 30% du total des cadres au Tibet dans les années 50- est à l'heure actuelle de 70%, l'objectif étant d'atteindre 80%.

   A l'échelon régional existe la même volonté de remplacer les responsables Han par des Tibétains. Toujours selon des chiffres officiels, les deux-tiers de tous les directeurs et directeurs-adjoints des départements au niveau de la région sont aujourd'hui d'origine tibétaine.

  Comme le faisait toutefois remarquer un diplomate bien informé des questions tibétaines, le véritable pouvoir n'est pas toujours détenu par le numéro un en titre d'un département, mais très souvent par le numéro deux, généralement un Chinois-Han.

   De plus, un grand nombre de Tibétains placés dans des postes de direction ne sont pas originaires de la région autonome du Tibet (TAR) proprement dite, mais du Sichuan (sud-ouest) ou du Qinghai (nord), deux provinces comptant d’importantes communautés tibétaines mais où l'influence chinoise a toujours été prépondérante au cours de l'histoire.

   Ces Tibétains "de l'intérieur du pays" sont pour la plupart très sinisés -ils parlent couramment le mandarin et ont presque tous adopte des noms chinois- et sont, pour cette raison, considérés par les autorités chinoises comme plus fiables que les Tibétains du Tibet.

   Dans l'ensemble, si la nouvelle politique menée par Pékin vise à renforcer l'encadrement tibétain, afin notamment d'atténuer les ressentiments de la population tibétaine qui continue à considérer les Chinois comme des étrangers, elle ne remet pas en cause la suprématie chinoise dans des secteurs clés, tels que le développement économique et scientifique de la région, ou encore l’armée.

   Cette dernière, qui est quasi-exclusivement composée de Han, est omniprésente dans l'ensemble du Tibet et en particulier dans les environs immédiats de Lhassa.

   Le visiteur au Tibet est frappé par l'absence d'intégration de la communauté chinoise qui vit dans des quartiers à part, généralement dans des résidences entourées de hauts murs.

   A Lhassa, où vivent quelque 50.000 Han sur une population totale de 120.000 personnes -sans compter les militaires- les deux communautés vivent dans deux mondes totalement séparés.

   Les Chinois-Han vivent dans des quartiers spacieux, bordés de larges avenues, bénéficiant de nombreux avantages, notamment sur le plan de l'approvisionnement en eau et en nourriture, tandis que les Tibétains s'entassent dans leurs maisons traditionnelles sans grand confort.

   Bien que largement favorisés, les Chinois n'hésitent pas à se plaindre. Parmi les sujets de récrimination, on trouve notamment le problème de l'acclimatation à l'altitude -3 700 m à Lhassa-, le manque de distraction et l'éloignement.

   "Pour moi il s'agit avant tout d'un problème psychologique", explique un jeune cadre du bureau des affaires étrangères de Lhassa. Son épouse vit à Pékin, à plusieurs milliers de kilomètres. .

   Il reconnait cependant que son cas est encore enviable, puisqu'il gagne deux fois plus qu'autrefois et qu'il pourra regagner Pékin à l'expiration de son contrat, d'une durée de 3 ans.

   L'instauration de contrats – allant généralement de 3 à 5 ans -, est l'une des mesures prises récemment par les autorités de Pékin, mais elle est encore loin d'être généralisée. Les colons chinois attendent souvent des années avant de pouvoir demander leur mutation qui ne peut de surcroit intervenir qu’après la désignation d’autres Chinois "de l'intérieur du pays"  pour prendre leur place.

   

14 novembre 2006

Les démolitions à Pékin

   Depuis le début des années 2000 et en prévision des Jeux Olympiques de 2008, la destruction du vieux Pékin bat son plein.

   Une grande partie des ruelles typiques (hutongs) de la ville - dont les origines remontent aux Mongols - et de multiples siheyuans, cours carrées anciennes dont certaines sont vieilles de cinq siècles, ont déjà été détruites. Sur les 62 km2 qui composaient la vieille ville, un tiers a disparu, selon les estimations de l'Unesco.
   Dans les 15 prochaines années, 5 millions de personnes (sur les 14 millions que compte actuellement la capitale chinoise) devraient encore être contraintes de quitter le centre-ville pour être relogées en loitaine banlieue, parfois jusqu'à 50 km du centre historique.

  Les destructions interviennent très rapidement, généralement un mois à peine après l'inscription "zhai" sur les murs des maisons destinées à être abattues, sans grande concertation avec les habitants. Ces derniers sont généralement contraints d'accepter les maigres dédommagements qui leur sont proposés par des promoteurs sans scrupules, bénéficiant de protections importantes au sein de la municipalité, sans grande chance d'obtenir gain de cause devant les tribunaux.

Que pensez-vous de cette situation ?

Voici quelques photos pour vous donner une idée :

(Thanks for commenting the destruction of old Beijing, do you think it's necessary and if so, what could be done to avoid some of the excesses seen in the last few years?)

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13 novembre 2006

L'ouverture du Tibet aux étrangers

   Des touristes étrangers au compte-gouttes

    Déjà réputé pour être l'un des endroits les plus difficiles d'accès du monde, le Tibet peut désormais se targuer d'être aussi l'un des plus onéreux pour les touristes étrangers.

   Il en coûte ainsi 240 yuans (120 dollars) par jour et par personne pour séjourner dans l'un des trois centres d'accueil peu confortables que compte Lhassa, la seule ville ouverte en permanence pour quelques rares étrangers triés sur le volet. Une seconde ville, Xigaze, située à environ 150 km de Lhassa, n’est quant à elle ouverte que très épisodiquement.

   Pour les groupes, les prix varient entre 210 yuans (105 dollars) par jour et par personne si le groupe a moins de 10 personnes, et 180 yuans (90 dollars) s'il en compte plus de 10.

   Que le touriste étranger ne se fasse toutefois pas d'illusion. Il lui est pratiquement impossible d'obtenir la permission de voyager au Tibet à titre individuel tandis que le nombre de places dans les groupes est strictement réglementé.

  En 1982, par exemple, seulement 1.500 touristes étrangers ont été admis à Lhassa, un chiffre qui inclut les membres des délégations officielles, les experts ou les journalistes. A ce chiffre, viennent s'ajouter plusieurs dizaines de Chinois de Hong Kong qui bénéficient de tarifs préférentiels pouvant aller jusqu'a 5 yuans (2,5 dollars) par nuit dans un dortoir.

  En 1983, 1.800 touristes étrangers et à nouveau quelques dizaines de Chinois de Hong Kong sont attendus à Lhassa, un objectif encore très modeste qui, selon les officiels interrogés au Tibet, tient compte du manque d'installations hôtelières ou encore de la pauvreté des voies de communication.

   Les officiels ne manquent jamais une occasion de rappeler que la quasi-totalité de la nourriture servie aux "Waibing" (littéralement hôtes étrangers) est importée de "l'intérieur du pays" par voie aérienne.

   Mais pour le touriste qui parvient à se poser en avion à Lhassa, parfois à l'issue de plusieurs jours d'attente à Chengdu, la capitale du Sichuan en raison du mauvais temps, c’est seulement le début d’un véritable parcours du combattant.

Pas question de prendre des photos en toute liberté des quelques grands temples et monastères qui ont survécu à la Révolution culturelle, même s’il a déjà déboursé 240 yuan par jour pour sa visite à Lhassa.

   Une réglementation locale stipule ainsi qu'il doit payer 150 yuans (75 dollars) pour photographier l'intérieur du Jokhang, l'un des plus anciens temples de Lhassa.

   Au Potala, l'impressionnant palais qui surmonte une colline située dans la partie ouest de Lhassa, les tarifs varient selon les salles: 20 yuans (10 dollars) pour chaque chapelle et 50 yuans (25 dollars) pour les halls de prières décorés de fresques.

   Parmi les autres visites qui s'imposent  figure celle des petites ruelles qui entourent le Jokhang ou le touriste peut acheter toutes sortes de bibelots et d'ustensiles d'usage quotidien.

   S'il est assez téméraire, il peut aussi acheter, à des prix presque toujours exorbitants, quelques bijoux anciens ou des objets religieux, moulins a prières et statuettes de bouddhas, vendus sous le manteau par les Khampas, de grands Tibétains venus de l'est qui déambulent dans Lhassa avec des poignards attachés a la ceinture.

   Une mauvaise surprise risque toutefois d'attendre le touriste dans le petit aéroport de campagne, situé à quelques dizaines de kilomètres de Lhassa, sous la forme de douaniers qui confisquent systématiquement tous les objets tibétains fabriqués avant 1959.

   Une réglementation en ce sens, mais qui n’est généralement communiquée aux intéressés qu’à la veille de leur départ, prévoit l’existence de droits de douane entre le Tibet el reste de la Chine.

   Officiellement, la réglementation a pour but de protéger le patrimoine culturel tibétain, mais les douaniers profitent de l’occasion pour fouiller les touristes étrangers à la recherche d’éventuels messages politiques que des Tibétains, espèrent faire sortir de Chine.

  Tel a été le cas lors d'une récente visite de journalistes étrangers lorsqu’un correspondant américain s'est vu saisir des lettres adresses à l’ONU et au dalai-lama par un Tibétain rencontré dans la rue.

10 novembre 2006

Le bouddhisme tibétain en 1983

   Un bouddhisme qui revit après des années de persécutions 

    Awang Quni, 10 ans, est novice au monastère de Drepung, l'un des plus grands du Tibet qui comptait autrefois des dizaines de milliers de moines.

   Il n'a jamais entendu parler du parti communiste chinois ni de Deng Xiaoping, et pense que Mao Tsetoung est toujours vivant et président, mais sans savoir au juste de quel pays.

   Awang quni sait en revanche que Lhassa est la capitale du Tibet que le dalai-lama, l'ancien leader temporel et spirituel tibétain vit en exil en Inde. En principe, le novice, un garçonnet au visage rieur  n'aurait pas du entrer en religion.drapeaux_de_pri_res

   Les monastères bouddhistes comme toutes les autres congrégations religieuses ne sont en effet autorisés à recruter que des jeunes âgés de plus de 18 ans, l’âge requis par la constitution chinoise pour pouvoir pratiquer librement une religion.

  Au monastère de Drepung qui ne compte plus aujourd'hui que 233 lamas contre plus de 10.000 à la fin des années 50, il existe une dizaine de novices âgés de 10 à 16 ans.

   Des explications embarrassées fournies par les officiels locaux, il ressort que les jeunes novices sont en général amenés par des parents qui sont eux-mêmes déjà lamas dans le monastère.

   En théorie, le futur lama doit avoir termine ses études primaires, être en bonne sante et faire preuve de patriotisme.

   Mais en réalité, ces critères sont rarement appliqués à la lettre et il est arrivé à plusieurs reprises aux journalistes qui ont visite Lhassa récemment de parler à des novices qui n'étaient jamais allés à l'école.

   Une telle flexibilité, inconcevable il y a encore 5 ans, va de pair avec la nouvelle politique de tolérance religieuse mise en place a partir de 1979-80 par les autorités chinoises.

   Au Tibet cette politique est d'autant plus nécessaire que pratiquement tous les Tibétains croient avec ferveur au lamaisme (une forme particulière du bouddhisme) et que cette religion est l'une de celles qui a eu le plus a souffrir de la politique résolument athée poursuivie par la Chine dans les années 60 et 70.

   Seulement une dizaine de temples, monastères ou lamasseries ont survécu, à peu près intacts, aux destructions de la Révolution Culturelle alors que le Tibet en comptait encore près de 2.500 en 1959 à la veille de la fuite du dalai-lama en Inde, après l'échec d'une rébellion antichinoise.

  Aujourd'hui 45 temples et monastères - dont certains ont dû presque intégralement être reconstruits - ont rouverts leurs portes tandis que 8 autres doivent être rendus au culte prochainement, selon des informations obtenues à Lhassa.

   Les lamas qui n'étaient plus que de 900 à la fin de la Révolution Culturelle en 1976 contre 110.000 en 1959, atteint aujourd'hui environ 1.400.

   Parmi les 500 lamas recrutés ces dernières années figurent des jeunes mais aussi des lamas plus âgés qui ont repris le chemin des monastères après en avoir été chassés dans les années 60.

   Un institut bouddhiste doit être mis en place prochainement à Lhassa afin de former de nouveaux moines. Plus de 100 jeunes Tibétains ont participé aux premiers examens d'admission qui se sont déroulés dans la capitale tibétaine le mois dernier.

   Le renouveau religieux ne touche pas seulement le clergé lamaïste mais toute la population tibétaine, un peu comme si la Révolution culturelle avait été balayée d’un trait de plume.

   C’est ainsi que les petites drapeaux de prières - censés protéger contre les mauvais esprits - ont refait leur apparition sur la quasi totalité des maisons tibétaines et même sur les crêtes des montagnes arides environnant Lhassa.

   Des centaines de pèlerins viennent par ailleurs quotidiennement se prosterner devant l'entrée du Jokhang, l'un des plus anciens temples de Lhassa. La plupart des fidèles se contentent de se prosterner, en s’allongeant par terre de tout leur long, face à la porte d'entrée, à plusieurs reprises, tandis que d’autres parcourent ainsi toute l'enceinte du temple, surmonté de toits ocres.

   Le nom du dalai lama est au bout de toutes les lèvres et sa photo se vend partout dans les rues.

   Le prestige du chef spirituel tibétain est tel à Lhassa que même certains cadres communistes tibétains n'hésitent pas a reconnaître son autorité religieuse.

   'Le dalai-lama est bien un bouddha vivant'', explique un cadre tibétain d'une quarantaine d'années qui ajoute, à la dérobée, que malgré l'interdiction qui lui est faite de pratiquer une religion en raison de son appartenance au parti communiste chinois, il continue a croire au bouddhisme ''tout au fond de son coeur''.

   ''Il y a ce qu'on dit aux autres et puis ce qu'on pense vraiment, tout au fond de soi'' poursuit-il avant d'affirmer qu'à son avis un grand nombre de cadres tibétains partagent ce point de vue en privé.

   Mais le retour en grâce de la religion se heurte à différents obstacles en tête desquels figure la fixation de quotas d'admission aux différents monastères pour le recrutement de nouveaux lamas.

   Un seul grand monastère, celui de Ganden,  complètement détruit sous la Révolution culturelle, semble actuellement échapper à cette disposition, essentiellement en raison de l'ampleur des travaux nécessaires à la réfection des bâtiments.

   La reconstruction de Ganden a débuté en 1979 à l'initiative de 10 lamas. Aujourd'hui plus de 400 lamas participent à ce travail en utilisant avant tout des fonds privés offerts par les fidèles.

   L’Etat chinois s'est contenté pour sa part de verser 500.000 yuans (250.000 dollars) soit trois fois moins que ce que les croyants tibétains - y compris certains vivant en Inde - sont parvenus à rassembler au cours des dernières années.

   Mais la limite principale au développement de la religion au Tibet réside dans la doctrine communiste. Celle-ci,  précise un responsable du bureau des affaires religieuses du Tibet, prévoit la disparation progressive de la religion ''mais pas avant 5 ou 6 générations''

9 novembre 2006

Lhassa avant les bulldozers

Voici le carnet d'un voyage effectué au Tibet en 1983, avant l'arrivée du capitalisme chinois, des bars à karaoké et des hordes de touristes, alors que le Tibet sortait à peine de la Révolution culturelle.

1983 : lorsque Lhassa n'était encore qu'une petite bourgade

                                 potala_3

                           

    Nichée à près de 3.700 mètres d'altitude entre deux chaines de montagnes, Lhassa, la capitale du Tibet, est avec ses 120.000 habitants une ville hors du temps et de l'espace.

   Dominée par l'impressionnant palais du Potala, l'ancienne résidence des dalai-lamas dont la silhouette massive se découpe sur un fond de ciel extraordinairement bleu, la ville de Lhassa continue à vivre largement dans le passé. Des lamas en robe ocre et des Tibétains en costume traditionnel - une large houppelande maintenue par une ceinture enroulée plusieurs fois autour de la taille - déambulent dans les rues de la ville, transportant avec eux une tenace odeur de beurre rance.

   La capitale du Tibet, il est vrai, se trouve à plus de 3.000 km de Pékin et n'est guère accessible que par l'avion. Encore faut-il souvent plus de 24 heures pour parvenir à Lhassa depuis Chengdu, capitale de la province du Sichuan, située dans le sud-ouest de la chine. Pour les visiteurs moins pressés, il est toujours possible de prendre un bus cahotant ou un camion depuis Chengdu mais aussi depuis Goldmud, dans la province du Qinghai (nord), mais le voyage, éprouvant, peut durer 10 jours.

   La capitale du Tibet est toutefois plus cosmopolite qu'il n'y parait au premier abord ou que ne pourrait le laisser présager son éloignement: on y côtoie une foule bigarrée, mêlant des chinois-han de tous les coins de Chine, des Tibétains, ainsi que des commerçants népalais installés à Lhassa depuis plusieurs générations.

   L'endroit le plus pittoresque est le quartier qui entoure le Jokhang, l'un des plus anciens temples de Lhassa où les fideles viennent faire leurs dévotions en s'allongeant par terre à plusieurs reprises comme le veut la religion lamaïste.

   Mais c'est surtout l'extraordinaire développement du petit commerce dans les ruelles entourant le Jokhang qui frappe le visiteur.

   Dans ce quartier tout se vend et tout s'achète, y compris les petites statuettes de bouddhas ou les moulins à prières que les Khampas - de grands Tibétains venus de l'est du Tibet - proposent constamment aux visiteurs, à des prix souvent exorbitants. Les Khampas, facilement reconnaissables à leur haute taille ainsi qu'aux poignards qu'ils portent a la ceinture, n'hésitent pas à agripper les éventuels acheteurs pour leur montrer leurs marchandises.

   Les habitants de Lhassa se plaignent parfois du sans gêne des Khampas que même les autorités de la ville semblent craindre. "Sinon comment expliquer qu'ils puissent continuer à vendre des objets anciens aux étrangers alors qu'un règlement l'interdit strictement? ", explique un diplomate connaissant bien les questions tibétaines.

   Mais le Jokhang c'est aussi le domaine réservé des commerçants népalais qui, extérieurement, ne se distinguent pratiquement pas des Tibétains de Lhassa dont ils parlent la langue et observent les coutumes.

   Ces commerçants sont environ 600 à Lhassa même, où la plupart d'entre eux sont mariés à des Tibétaines. Ils disposent d'une école et possèdent environ 20%  des petites échoppes installées autour du Jokhang où ils vendent pêle-mêle des antiquités, des jean's et des cassettes d'importation ou encore des ustensiles d'usage quotidien.

   On rencontre également quelques Tibétains d'Inde venus rendre visite à leurs familles restées à Lhassa et qui se reconnaissent généralement à leurs vêtements occidentalisés, à leur coiffure, et même parfois à leur démarche.

   700 d'entre eux sont ainsi revenus l'an passé, la plupart pour des visites de courte durée, tandis que plus de mille sont attendus cette année dans le cadre d'une nouvelle politique des autorités de Pékin qui tente d'encourager les Tibétains partis en Inde avec le dalai-lama en 1959 à venir se réinstaller au Tibet.

   Autour du Jokhang on trouve enfin une minorité de commerçants Chinois-han qui vendent essentiellement des étoffes, des vêtements et des tapis et qui viennent "de l'intérieur du pays". Mais si les Han ne se font guère remarquer dans les environs du célèbre temple, il n'en va pas de même dans le reste de Lhassa où ils ont construit de gigantesques résidences entourées de hauts murs.

   Le quartier chinois, qui s'étend tout autour du Potala et où vivent la quasi-totalité des 50.000 Han que compte Lhassa, ressemble à n’importe quelle ville chinoise, avec ses grandes avenues vides et ses édifices qui évoquent plus des baraquements provisoires que de véritables maisons d'habitation.

   Vue depuis le Potala, la ville chinoise ressemble à un immense champ de tôles ondulées qui ne s'interrompt que pour faire place aux ruines surélevées d'un ancien temple de la médecine, elles mêmes entourées par une grande caserne.

   

8 novembre 2006

La complainte douce amère des paysans de l'Anhui

Les rizières vert-pâle s’étendent à perte de vue,  tachetées de silhouettes minuscules qui bougent constamment,  tandis que le minibus brinquebalant qui effectue la liaison Hefei-Wuwei s’arrête brutalement sur la grande route. Les deux waibing (hôtes étrangers) que les autres voyageurs n’ont cessé de toiser ostensiblement tout au long du trajet, commentant leur physionomie et leur tenue vestimentaire, s’extirpent du véhicule tant bien que mal, enjambant plusieurs bagages dont un téléviseur flambant neuf, venu tout droit de la ville.

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Le village de Huazhuang, situé non loin de la route, n’est en lui-même guère différent des innombrables villages qu’on peut trouver dans l’est ou le sud de la Chine, encore largement dominés par la culture rizicole. Un peu plus pauvre, à coup sûr, que les villages de la riche province méridionale du Guangdong, qui s’en sortent grâce à plusieurs récoltes, mais en tout état de cause, pas dans le peloton de queue des campagnes chinoises. Des maisons en construction sont visibles un peu partout, mais si beaucoup d’entre elles mettront plusieurs années avant d’être achevées, leurs propriétaires ne faisant les travaux qu’au fur et à mesure des rentrées d’argent.

Des poules picorent autour des maisons, tandis que les enfants jouent avant de repartir à l’école, et que les vieux s’épanchent, en attendant de repartir dans les champs après la pause de midi. « Les impôts et les frais de scolarité sont trop élevés, les engrais coûtent cher,  le fardeau est trop lourd » explique Mme Zhang, une femme d’une quarantaine d’années. Sans l’aide de son fils, parti en ville, où il gagne 20 yuans par jour, sa famille ne pourrait pas s’en sortir. Depuis la réforme agraire du début des années 80 qui a redistribué la terre aux paysans,  elle a le droit de cultiver six mus de terre qui lui assurent un revenu annuel de 2000 yuans  (150 euros), soit en gros le revenu moyen annuel des paysans chinois. Une peccadille lorsqu’on sait que les taxes et impôts divers qui ont proliféré ces dernières années ces dernières années,  lui prennent déjà 600 à 700 yuans. Malgré les rappels à l’ordre périodique des autorités centrales, l’imagination des cadres locaux n’a guère de limites, d’autant que l’Etat de désinvestit de plus en plus de ce qui se passe dans les campagnes. Rien que pour Huazhang, Mme Zhang énumère les taxes réclamées:   pour construire une maison ou seulement un étage supplémentaire, pour élever des cochons, des moutons ou des poules,  pour participer à la construction d’une route ou d’un pont,  sans parler des sanctions pécuniaires en cas d’infraction à la politique de contrôle des naissances.

Envoyer un enfant à l’école primaire revient entre 130 et 150 yuan par an, une somme que les autorités se sont engagées à baisser, mais sans aucun succès jusqu’à présent. « Pour ne pas avoir d’ennuis, les cadres locaux écrivent tout simplement 70 à 80 yuans sur les reçus qu’ils nous remettent » explique la paysanne résignée, tout en écossant des petits pois, au milieu d’une assistance qui n’a cessé de grossir.

Attirés par la présence des étrangers, une dizaine de paysans et paysannes, se sont assis sur des petits tabourets, après avoir déposé leur houe. La discussion s’anime, nécessitant désormais l’intervention d’une interprète de fortune, une paysanne locale qui a vécu de longues années à Pékin où elle a été femme de ménage, pour traduire le fort accent de l’Anhui en mandarin standard.

Les détails fusent d’un peu partout :  entre l’état qui rachète 600 kg de riz pour 540 yuans et le coût cumulé des insecticides et des engrais nécessaires pour un mu de récolte, sans parler de la grande diversité des taxes.

Mais l’assistance est unanime sur la question de la santé : « si tu n’as pas d’argent, tu es mort » déclare péremptoire un homme d’une soixantaine d’années. Les exemples abondent :  le b.a.-ba c’est une enveloppe rouge au médecin pour qu’il soigne « vraiment ». Pour une hospitalisation simple à l’hôpital du district, il faut compter 2.000 yuans et entre 500 et 1000 yuans dans l’enveloppe pour mettre toutes ses chances de son côté. Pour une intervention chirurgicale, les tarifs atteignent rapidement 10.000 à 20.000 yuans, soit cinq à dix fois le revenu annuel moyen d’un paysan chinois. Sans enveloppe, les médecins n’hésitent pas à pratiquer de « fausses » opérations ou à donner de « faux » médicaments. Une femme cite le cas d’un enfant vivant dans le voisinage, mort des suites d’une forte fièvre, « parce que ses parents ne pouvaient pas payer ».

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La plupart d’entre eux ont la peau burinée par le soleil et paraissent au moins 10 à 15 ans de  que leur âge. Beaucoup d’entre eux sont partiellement édentés et se plaignent de maux divers, douleurs de jambes ou de dos, brûlures d’estomac et autres petits et grands maux qu’ils ne pourront jamais faire soigner. Une femme dont les jambes ont doublé de volume, à force de travailler dans l’eau des rizières – elle est probablement atteinte de bilharziose, une maladie parasitaire qui affecte les vaisseaux sanguins et les principaux organes internes de l’homme -    – aimerait savoir pourquoi elle est toujours aussi fatiguée. L’étrangère de passage pourrait-elle lui donner un « vrai » médicament ?  Son cri est repris en cœur par une autre femme, qui aimerait un médicament pour guérir la tumeur de son mari, qui ne cesse de grossir et que le médecin refuse d’opérer. Une troisième réclame de « vrais » antibiotiques.

Totalement impuissante, je ne peux qu’écouter leurs doléances. Le lendemain, c’est un véritable défilé dans la petite maison en ciment qui donne à l’arrière sur des rizières et des champs de coton s’étendant à perte de vue et dont la construction n’est pas achevée. Seul le rez-de-chaussée est habitable pour l’instant, tandis qu’un cochon défend l’accès aux toilettes, un simple trou creusé dans une cahute édifiée dans la cour. Le confort est spartiate, un kang (grand lit posé sur des briques qu’on peut chauffer en hiver) pour toute la famille, mais une commode rustique et des moustiquaires aux fenêtres attestent d’un certain confort. Les visiteurs s’assoient sur des tabourets bas ou s’accroupissent à même le sol en terre battue, tout naturellement, sans la moindre excuse, pour assouvir leur curiosité et tenter d’obtenir quelques médicaments, avant de repartir, leur houe sur le dos, comme si de rien n’était, en direction des rizières où ils travailleront jusqu’à la tombée de la nuit.

Les témoignages restent sobres, ceux qui les tiennent savent bien qu’il n’y a rien à faire contre le mauvais sort qui les a fait naître à la campagne. Tous les paysans chinois que j’ai pu interviewer au cours de ces années en Chine m’ont interpellée par leur sourde résignation, leur croyance dans une fatalité qui les dépasse. Comme si les années maoïstes n’avaient servi à rien, si ce n’est à renforcer encore un peu plus un credo que les lettrés et les intellectuels et plus généralement les citadins chinois leur ont imposé au fil des siècles :  «  vous n’êtes que des paysans, vous n’avez droit à rien, pas même à notre considération ».

Mao Tsetoung, lui-même fils d’un petit propriétaire foncier, a pendant un temps paru vouloir rompre le cercle, en mobilisant des millions de paysans pour imposer sa révolution à des masses citadines nettement plus réticentes. Sa théorie de l’encerclement des villes à partir des campagnes, avancée alors qu’il était en conflit avec les membres intellectuels de son propre parti comme avec les bolchevik envoyés par Moscou dans les années 30,  constitue à cet égard un véritable trait de génie.

riziere_Anhui__3____elisshaMais la lune de miel avec la paysannerie devait être de courte durée après la fondation du régime communiste en 1949. Après une phase d’euphorie marquée par la collectivisation des terres et le massacre de dizaines de milliers de propriétaires fonciers, les paysans devaient rapidement déchanter et payer leurs désillusions au prix fort : de 30 à  40 millions de morts, selon les estimations les plus courantes des experts étrangers, pendant la grande famine de 1958 à 1960, qui avait immédiatement suivi une période de collectivisation à outrance connue sous l’appellation de « Grand Bond en avant ». 

A Huazhang, le « Grand Bond en avant » reste présent dans les mémoires, comme un repoussoir absolu. « Les gens mouraient comme des mouches, je ne sais pas pourquoi, mais ils sortaient de chez eux à bouts de force pour mourir » raconte une rescapée, aujourd’hui âgée de 72 ans. Elle n’a eu la vie sauve que parce qu’elle avait réussi, in extremis, à quitter le village avec ses enfants, après avoir graissé la patte aux autorités locales pour obtenir un permis de voyage, sans lequel elle n’aurait pas pu rejoindre son mari qui travaillait à l’époque dans une mine de la province voisine du Jiangxi. Pour éviter que les paysans ne viennent mourir dans les grandes villes,  montrant ainsi au reste du monde le pathétique échec du Grand Bond en avant, les autorités de l’époque avaient imposé un complet verrouillage des campagnes. L’opération avait tellement bien fonctionné que les nombreux intellectuels occidentaux qui commençaient à être invités en Chine à l’époque étaient pour la plupart revenus très enthousiastes, totalement ignorants du drame qui se déroulait dans les campagnes, mais également dans une moindre mesure, dans les villes.

Présenté comme le stade suprême du communisme, le « Grand Bond en avant » restera pour les Chinois synonyme d’aberration : contraints de tout abandonner sur l’autel de la collectivisation, y compris leurs ustensiles de cuisine,  de manger dans des cantines et de dormir dans les réfectoires et de construire, avec les moyens du bord, de petits hauts fourneaux  pour répondre à l’appel du « grand Timonier » , les paysans avaient tout simplement déserté les champs, provoquant une disette rapidement aggravée par une succession de catastrophes naturelles. « Toutes les casseroles avaient été récupérées par la commune populaire » se souvient  une autre habitante de Huazhang, qui en revanche ne parvient plus à replacer « le Grand Bond en avant » dans son contexte. « C’est de la faute des diables Japonais et du Kuomintang » répète-t-elle, sans que cette erreur ne suscite le moindre rectificatif de la part de l’assistance. Est-ce d’ailleurs bien nécessaire, alors que la vie des paysans continue à s’égrener  au fil des catastrophes naturelles ou autres qui s’abattent régulièrement sur la Chine ?

                                                                        

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La vie est aujourd’hui meilleure à Huazhang, probablement meilleure qu’elle ne l’a jamais été, mais les paysans restent à la merci des inondations d’un affluent du grand fleuve Yangtsé, qui régulièrement se traduit par des centaines, voire des milliers de victimes, comme des aléas de la politique décidée par Pékin. L’instauration, dans les années 80, d’une stricte politique de contrôle des naissances contraignant les citadins et une partie des paysans à se contenter d’un enfant par famille, a donné lieu à de nombreux excès, notamment des campagnes d’avortements forcés qui ont suscité une vive réprobation à l’étranger. Mais ce qu’on sait moins, c’est que les fortes pénalités appliquées aux contrevenants récidivistes sont à l’origine de nombreux drames dans les campagnes :  suicide des femmes incapables de produire rapidement un héritier mâle, familles ruinées par leur volonté de respecter la tradition.

M. Ling sait de quoi le régime est capable. La naissance de sa troisième fille en 1990 lui a valu la destruction de sa maison par les autorités locales. « Le chef du village est venu et il a tout pris, y compris le lit et les meubles avant de détruire la maison » raconte-t-il sans émotion. Il a alors construit une tente pour loger sa famille, et comme il n’avait plus rien, il a encore fait trois autres tentatives d’avoir un garçon, sans succès. Il a aujourd’hui six filles et s’est acheté un tracteur pour faire du transport et regagner lentement l’argent confisqué.

Aujourd’hui, la situation s’est apaisée, au moins à Huazhang. « On ne peut plus démolir une maison, ni te mettre en prison parce que tu n’as pas respecté la politique de contrôle des naissances » explique son voisin, un homme de 36 ans. Les sanctions financières n’ont en revanche pas disparu, plaçant les couples devant un choix cornélien : payer une amende de 8.000 yuans ou renoncer à avoir un héritier mâle, au risque de se retrouver un jour seuls et sans soutien, puisque dans la tradition chinoise, le fils est tenu de s’occuper de ses parents âgés. Le problème est d’autant plus délicat que les chances de mettre en place un système de retraite dans les campagnes s’éloignent  chaque jour un peu plus avec le développement tous azimuts de l’économie de marché, sans contrepoids sociaux.

Malgré les progrès des dernières années, la vie reste dure dans les campagnes de l’Anhui qui ne survivent souvent que grâce à l’argent envoyé par les migrants. Malgré des salaires de misère, 600 à 700 yuans pour un travail de forçat – 10h par jour, 7 jours sur 7 – ces derniers se considèrent mieux lotis que s’ils travaillaient dans les champs. « La terre, ça ne rapporte rien, les récoltes sont souvent mauvaises et on doit tout de même payer des impôts »  lance le frère de Ling qui a sauté le pas et travaille depuis une demi-douzaine d’années sur les chantiers de la capitale. Sa femme est restée au pays avec leurs deux enfants.

Les contreparties ne sont pas anodines. « La vie est meilleure à Pékin, mais on préférerait ne pas être aussi loin du pays natal » relève-t-il. Les migrants ne retournent chez eux qu’une fois l’an, au moment du Nouvel an chinois (janvier ou février), profitant de la période creuse sur les chantiers. Ils reviennent alors chargés de cadeaux et de biens de consommation, introduisant progressivement des notions de confort, encore inimaginables il y a quelques années.

Mais les progrès sont fragiles. Malgré toutes les réformes tentées depuis 20 ans, le revenu des paysans augmente nettement moins vite que celui des citadins. Au moins autant qu’une succession de mauvaises récoltes, la fin du boom immobilier dans les villes pourrait provoquer une véritable catastrophe, en renvoyant brutalement dans leurs foyers 100 à 150 millions de migrants intoxiqués par le monde moderne. Des projets pilotes sont en cours pour créer de petites industries rurales afin d’occuper les excédents de main d’œuvre, mais les résultats restent encore décevants.

La pauvreté au Shanxi

A 500 km de Pékin, Datong, célèbre pour ses grottes bouddhiques vieilles de 15 siècles,  propulse brutalement le visiteur plus de vingt ans en arrière. Les immeubles poussiéreux, les bus cahotants et les nombreux cyclistes rappellent le Pékin d’après la Révolution Culturelle. Le temps semble s’être arrêté dans cette ville minière en crise, comme dans une bonne partie de la province. Le restaurant de l’hôtel Drapeau rouge ressemble à une cantine, où l’on prend ses repas à heure fixe, et où l’on ne vous propose qu’un seul menu servi sur des plateaux repas en plastique. Les commodités sont spartiates, moquette crasseuse et brûlures de cigarettes sur le dessus de lit, mais le personnel est plutôt attentionné, malgré les salaires de misère accordés – 200 à 300 yuans par mois pour les plus jeunes -. Les deux employées interrogées sont convaincues d’avoir eu de la chance, évitant ainsi le pénible travail des champs.

Sur les plateaux de loess crevassés du Shanxi en effet, plus question d’espérer plusieurs récoltes annuelles. A des altitudes oscillant entre 500 et 1500 mètres, le blé, le sorgho et le millet ont remplacé les rizières…..

      

Tang raconte que le village a de plus en plus d’habitants et de moins en moins de terre, que le revenu par habitant n’y dépasser pas 300 yuans par an, qu’il n’y a pas toujours assez à manger au printemps, que la soudure entre les deux récoltes est  problématique, que les jeunes partent à la ville pour devenir migrants afin d’aider leurs familles. Sa litanie est reprise par ses administrés. « Nous mangeons surtout des pommes de terre et du pain, car les légumes ne poussent pas bien à cause de la sécheresse » explique Tang Yunzhu, une femme d’une trentaine d’années, qui en paraît cinquante, alors que la fumée de son poêle, qui fonctionne à bouse d’âne, enfume toute la maison. Pour cuisiner, elle se contente de quelques ustensiles noircis et patinés par l’âge.

8 novembre 2006

La revanche de Shanghai la magnifique

La « Perle de l’Orient », une tour télévision haute de 468 mètres, a fière allure alors que 21 chefs d’état et de gouvernement  de la région Asie-Pacifique (APEC) se préparent à converger sur Shanghai en cet automne 2001. Le monument phare de la ville, sorte de vaisseau spatial  futuriste, surplombe un grand centre de presse édifié à la hâte pour recevoir des centaines de journalistes, dans le quartier flambant neuf de Pudong qui n’était encore qu’un gigantesque terrain vague, occupé par quelques vieilles usines et des champs de légumes, il y a une dizaine d’années. Tout autour de la « Perle de l’Orient », des gratte-ciels ont poussé comme des champignons, en tête desquels le Jin Mao Building, un immeuble gris d’une audace et d’une beauté à couper le souffle. Avec ses 88 étages, il héberge l’hôtel le plus haut du monde.

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Pour accueillir sa première grande réunion internationale, la Chine communiste a mis les petits plats dans les grands. Pas question de laisser le moindre détail au hasard. Deux millions de pots de fleurs ont été placés le long des grandes artères, tandis que les 102 gratte-ciels que compte Pudong resteront illuminés pendant toutes les nuits que durera la réunion.

Le célèbre Bund, avec ses immeubles art déco ou néo-classiques construits au début du 20è siècle, paraît aujourd’hui presque incongru. Comment imaginer que cette ancienne grande artère qui longe la rivière Huangpu, ait pu fasciner autant les Chinois que les Occidentaux, en symbolisant la puissance et le rayonnement de Shanghai dans les années 30 ? Après cinquante ans de communisme, la ville tient enfin sa revanche sur Pékin, la capitale. Oubliées, les années passées à financer le reste du pays, à vivre à l’index  pour se dédouaner de sa luxure passée et de ses excès capitalistes.

Dans les années 80, la grande métropole interpellait le visiteur par sa décrépitude. Un peu comme si rien ne s’était produit depuis la fondation de la République Populaire de Chine en 1949. Pour punir les grandes masures coloniales comme les élégants petits cottages d’avoir été construits par les étrangers ou les compradores chinois qui peuplaient autrefois les concessions française et internationale, les nouveaux maîtres de la Chine s’étaient contentés de les laisser se décomposer au fil du temps. Seul l’incontournable Hôtel de la paix, un chef d’œuvre art déco, point de passage obligé des étrangers, ou encore le jardin du mandarin Yu, avec une ravissante maison de thé installé au milieu d’un bassin, pouvaient encore faire illusion et rappeler au visiteur les grandeurs passées de la grande métropole de Chine orientale. Des coolies, ployant sous le poids de leur chargement, traversaient encore à pied le pont de X, situé à une extrémité du Bund, sur une rivière nauséabonde, tandis que les vieux Shanghaiens s’adonnaient, comme ils le font encore aujourd’hui, à leur gymnastique favorite : le tai ji quan, un art martial traditionnel chinois, sorte de « gymnastique de longue vie »  qui donne lieu à des exercices lents et harmonieux, rythmés par des respirations profondes. Le succès de cette gymnastique, qui se pratique obligatoirement à l’aube, ne s’est pas démenti depuis, même si tous les autres aspects de leur vie ont connu des bouleversements majeurs.

Alors que le vélo et l’autobus constituaient l’essentiel des moyens de transport dans les années 1980, deux lignes de métro flambant neuves (qui seront bientôt trois) permettent désormais à la population de se déplacer rapidement, tandis que les infrastructures routières ont proliféré : une voie rapide surélevée, avec un tunnel flanqué d’impressionnantes bretelles d’accès pour  traverser le fleuve Huangpu, permet désormais de se rendre de Puxi (le Shanghai historique) à Pudong en un temps record. Shanghai rivalise avec Pékin pour le nombre d’hôtels cinq étoiles, qui ont eux aussi poussé comme des champignons, sans que personne ne se préoccupe du taux d’occupation escompté, un peu comme si l’hôtel cinq étoiles constituait désormais un signe indiscutable de la puissance affichée par la Chine.

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Le béton, le verre et l’acier sont omni présents, comme dans toutes les grandes villes chinoises qui ont connu des mues tout à fait extraordinaires au cours des dix dernières années. Mais contrairement à ce que s’est passé dans le reste du pays, les autorités shanghaiennes ont invité des architectes étrangers à donner leur avis, voire même à proposer des projets, comme la construction d’un boulevard du Siècle de 5 km de long à Pudong, qui rappelle un peu l’avenue des Champs Elysées, par l’architecte français Jean-Marie Charpentier. Ce dernier est également présent dans le paysage urbain grâce à l’Opéra de Shanghai tandis que son collège Paul Andreu a dessiné le tout nouvel aéroport international de Pudong.  Car la ville ambitionne de reconquérir sa gloire passée de capitale de l’Orient et dépasser ses deux principales rivales Hong Kong et Singapour.

                                                                                                                

                                                                                                             

Les choses semblent bien parties :  un nombre croissant de grandes entreprises étrangères ont décidé d’installer leur siège à Shanghai et non plus à Pékin, drainant une cohorte d’expatriés, mais également une foule de jeunes cadres chinois recrutés à la sortie des universités, avec des salaires à faire pâlir leurs aînés. Le soir,  tout ce petit monde se retrouve dans les innombrables endroits branchés de la ville, installés pour la plupart dans quelques bâtiments soigneusement rénovés des anciennes concessions française ou internationale. L’atmosphère n’a rien à envier aux bars ou discothèques de Londres, New York ou Paris,  avec des clients qui dépensent pour une boisson plus que ce qu’un paysan de l’intérieur du pays gagne en une année. Le nec plus ultra est l’appartenance à un club privé pour lequel il est courant de dépenser plus 30.000 yuans, soit l ‘équivalent de deux à trois ans de salaire d’un enseignant.

« C’est normal que Shanghai ait été désignée pour accueillir l’APEC, c’est la ville la plus  moderne de Chine» susurre Chen, en sirotant une coupe de champagne, confortablement installé au bar du restaurant M sur le Bund, l’un des restaurants les plus branchés de la ville, qui offre l’une des plus belles vues sur Pudong. Le choix de Shanghai marque le couronnement d’un retour en grâce orchestré par deux anciens maires de la ville,  Jiang Zemin et Zhu Rongji, qui  en ce début de 21è siècle occupent respectivement les postes de président et premier ministre chinois. Ils ont permis à la ville, de devenir l’une des principales vitrines des réformes économiques entreprises par le régime. Le constat est indiscutable :  bien qu’elle ne représente qu’1 % pc de la population chinoise, Shanghai assure en 2000 un douzième de la production industrielle, un quart des exportations et un huitième des revenus financiers chinois. 

Mais malgré tout le battage médiatique fait autour du sommet de l’APEC, largement relayé par les médias étrangers, les 14 millions de Shanghaïens n’ont pas été conviés aux festivités, bien au contraire. Ils ont été condamnés aux vacances forcées tandis que 60.000 policiers ont investi la ville, interdisant tout accès à Pudong et une partie importante de Puxi pendant toute la durée de la réunion. Un peu plus d’un mois après les attentats du World Trade Center à New York, les autorités chinoises entendent démontrer que l’ordre règne en Chine et que le risque d’un attentat terroriste y est plutôt plus faible qu’ailleurs : le message est parfaitement compris par le président américain George Bush, qui après quelques tergiversations, finit par maintenir son déplacement à Shanghai. Les Chinois jubilent, relevant qu’il s’agit de son premier voyage en dehors des Etats-Unis depuis le 11 septembre tandis que les Américains obtiennent le droit de débarquer avec un très puissant service d’ordre, en dépit des objections généralement émises par les autorités de Pékin, très sourcilleuses pour ce qui est du respect de leur souveraineté territoriale.

Mais dès lors qu’il s’agit des Etats-Unis et donc de la seule grande superpuissance mondiale qui subsiste après l’éclatement de l’URSS, les scrupules chinois disparaissent rapidement. Le président chinois Jiang Zemin reçoit avec empressement son homologue à qui il promet de coopérer étroitement dans la lutte antiterroriste et notamment dans la traque à « l’argent terroriste ». Le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères Zhu Bangzao, un apparatchik méprisant, peu apprécié des journalistes, se félicite de l’amélioration des relations bilatérales.

L’anti-terrorisme a rapproché les deux pays qui, quelques mois plus tôt, étaient au bord de la rupture à la suite de la collision entre un avion espion américain et un chasseur chinois non loin des côtes chinoises. L’incident est en lui-même peu banal : le 1er avril 2001 ,  un avion de surveillance américain EP-3, doté de radars perfectionnés et conçu pour collecter des informations et intercepter des transmissions radio, percute un chasseur chinois F-8 en plein vol avant d'atterrir en catastrophe sur l'aéroport militaire de Lingshui, sur l’île méridionale chinoise de Hainan.  Le pilote chinois est tué sur le coup tandis que le sort des 24 membres d’équipage de l’avion américain, retenus par les autorités chinoises, va tenir le reste du monde en haleine pendant près d’un mois, grâce au matraquage pratiqué par les chaînes de télévision américaines.

La Chine communiste trouve là un prétexte en or pour riposter et accréditer l’idée qu’elle est capable de tenir tête à l’Oncle Sam,  avant de remballer progressivement son artillerie rhétorique. Le combat de David contre Goliath dure 11 jours,  la Chine exigeant de la Maison Blanche qu’elle présente des excuses formelles au peuple chinois avant de relâcher les membres d’équipage.

Le processus est long et fastidieux, à l’image des relations complexes et tortueuses entre les deux pays. Pékin refuse de se contenter des regrets du secrétaire d’Etat, suivis de ceux du président américain. Un compromis est finalement trouvé pour permettre aux deux parties de sauver la face. Dans une lettre transmise aux autorités chinoises, le président Bush se déclare « vraiment désolé »  de la mort du pilote chinois, une formule que les médias chinois présenteront comme des excuses formelles (« daoqian » en chinois), impliquant une reconnaissance de la responsabilité américaine.

Les autorités chinoises conservent en revanche l’appareil qui ne sera restitué que trois mois plus tard, en pièces détachées, embarquées à bord d’un avion-cargo, alors que l’EP-3 pouvait parfaitement  reprendre l’air, une nouvelle façon de ridiculiser la grande Amérique.

Mais cette dernière ne lui en tiendra pas rigueur car dès le 11 septembre, elle aura bien d’autres chats à fouetter qu’à se quereller avec la Chine communiste, sous la pression des conservateurs républicains anti-chinois tentés au Congrès de réclamer un net durcissement à l'égard de Pékin. Car l’ennemi a  radicalement changé, c’est désormais le terrorisme sous toute ses formes et les mouvements musulmans intégristes en particulier, ce qui n’est pas pour déplaire aux autorités chinoises, confrontées depuis des années à un séparatisme musulman dans le nord-ouest du pays qu’elles ne parviennent pas à juguler.

L’heure n’est donc plus aux récriminations mais aux grandes retrouvailles à Shanghai  lorsque les dirigeants chinois et américains posent pour la grande photo de famille de l’APEC en vestes traditionnelles chinoises satinées multicolores. Bush a comme Poutine choisi le bleu, une couleur généralement associée à la stabilité, la sécurité et la puissance, tandis que Jiang arbore une scintillante veste satinée rouge, frappée de cercles stylisant les quatre lettres du logo APEC, entourée d’une pivoine, la fleur nationale chinoise. Car le symbolisme est partout. Le rouge est non seulement la couleur communiste par excellence, elle est aussi synonyme de bonheur et de mariage. Le premier ministre japonais Junichiro Koizumi, d’ordinaire plutôt fringant, flotte dans sa veste verte, lorsqu’il descend de sa voiture sur le perron du musée de la Science et de la Technologie, une gigantesque structure en verre où se déroule la retraite des 20 dirigeants d’Asie-Pacifique. Le seul absent, le représentant de Taiwan, a été récusé par Pékin.

La réunion s’achève sur un gigantesque spectacle pyrotechnique qui embrase la ville, mais avant tout  le Bund pendant une vingtaine de minutes. C’est, comme il se doit, un véritable hymne à la gloire de la renaissance chinoise, alternant des symboles chinois classiques avec des tableaux futuristes. Seule ombre au tableau : personne n’a prévenu les centaines de journalistes tant chinois qu’étrangers qui se massent sous la « Perle de l’Orient »  pour admirer le spectacle que le feu d’artifice est tiré à quelques dizaines de mètres au dessus d’eux. La surprise est de taille lorsque la tour se met à pétarader dans tous les sens, avant de s’enflammer au milieu d’un nuage de fumée, provoquant un vent de panique parmi les journalistes qui s’enfuient dans tous les sens pour se mettre à l’abri, sous une pluie de résidus incandescents.

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Le show a porté ses fruits, en persuadant définitivement le reste du monde que la Chine n’est plus « l’homme malade de l’Asie » et encore moins un pays communiste à l’index du concert des nations.  Le massacre des étudiants sur la place Tiananmen en juin 1989, qui a pesé sur la politique étrangère chinoise au début des années 90, n’est désormais plus qu’un lointain souvenir. Le reste du monde est séduit par le luxe et le clinquant des gratte-ciels shanghaiens, comme il est ébloui par le mirage économique chinois, la croissance à 8%, alors que la récession pointe son nez aux Etats-Unis et en Europe, après avoir déjà terrassé le Japon.

La Chine renoue, une fois de plus, avec sa capacité à fasciner l’Occident qu’elle n’a jamais véritablement perdue et qui remonte à Marco Polo. Le dernier grand emballement remonte à l’époque maoïste, avec les pèlerinages d’innombrables intellectuels, trop heureux d’écrire de longs ouvrages sur leurs « découvertes » au pays des Chinois à l’issue de voyages de propagande ne dépassant généralement guère quelques semaines.

L’arrivée, au cours des vingt dernières années, de cohortes d’hommes d’affaires, soucieux de prouver que la Chine est bien l’eldorado espéré par les directions de leurs entreprises qui y investissent en masse, a relancé la machine. Pour le plus grand bonheur des autorités chinoises actuelles, très expertes dans l’utilisation de ce capital de sympathie. Il leur permet d’attirer de nouveaux investisseurs (« comment pouvez-vous ne pas encore être présent en Chine alors que tous vos concurrents y sont ? ») tout en justifiant la pérennité de leur règne auprès de la population chinoise.

Fin 2001, jamais la situation n’a jamais paru plus favorable : après 15 ans d’âpres négociations et de multiples contretemps, la Chine vient d’être admise à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Les autorités espèrent que cette adhésion permettra une réforme économique en profondeur du système économique et donnera un nouveau coup de fouet aux régions côtières exportatrices, qui ont déjà largement bénéficié des réformes économiques lancées il y a 20 ans, grâce à un meilleur accès aux marchés étrangers.

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Mais le plus grand succès est sans conteste l’organisation des Jeux Olympiques 2008 que Pékin remporte facilement en juillet, devant Toronto et Paris, ses deux principaux concurrents, malgré la condamnation de sa politique en matière de droits de l'homme. Rien n’avait, il est vrai, été laissé au hasard, pour impressionner les représentants du Comité olympique international, qu’il s’agisse de la fermeture des usines polluantes ou encore de la peinture du gazon en vert lors de la visite d’une délégation du CIO quelques mois avant la décision. Pas question pour la Chine de connaître un nouvel échec, comme celui essuyé par Pékin face à Sydney huit ans plus,  soit trois ans seulement après Tiananmen.

Mais comme un bonheur ne vient jamais seul, la Chine se qualifie de surcroît pour sa première coupe du monde de football, un exploit célébré par une population en délire. « Du pain et du cirque ». Les citadins chinois n’ont, de l’avis des autorités, guère de raisons de se plaindre. "La victoire de l'équipe nationale (...) offre de la confiance et de l'espoir quant à la renaissance de la nation chinoise", se réjouit le Quotidien du peuple après la qualification de l’équipe chinoise.

Fin 2002, l’euphorie est toujours de mise et tout va bien dans le meilleur des mondes. La Chine s’est dotée d’une nouvelle direction sans bouleversements majeurs. L’incontournable Jiang Zemin a accepté de passer la main à un homme encore largement inconnu, Hu Jintao, dont on sait seulement qu’il avait été désigné par le patriarche défunt Deng Xiaoping, l’homme de l’ouverture de la Chine sur le reste du monde,. Les capitalistes sont désormais les bienvenus au sein du parti communiste. Cette petite révolution qui suscite beaucoup d’encre à l’étranger, passe toutefois largement inaperçue en Chine où la population ne s’intéresse plus, depuis bien longtemps, aux innombrables contorsions idéologiques du régime. Quant au revirement capitaliste, il est d’ores et déjà pleinement entré dans les mœurs, notamment au niveau des entreprises.

Les relations sino-américaines sont au beau fixe, grâce à une visite du président Bush à Pékin en février, suivie en octobre d’une visite retour de Jiang Zemin aux Etats-Unis durant laquelle ce dernier est traité avec les plus grands égards : il est notamment reçu dans le rang du président américain au Texas, un honneur réservé à quelques rares chefs d’Etat jugés totalement acquis aux thèses américaines.

La croissance économique oscille toujours autour aux environs de 8%, tandis que les exportations ont continué à croître à un rythme rapide de plus de 20% l’an dernier en dépit du renforcement de la concurrence étrangère, suite à l’adhésion de Pékin à l’OMC. Les investissements étrangers ont continué à croître à un rythme rapide, de 12 ,5% l’an dernier à 52 milliards de dollars, en dépit du ralentissement économique mondial.

Pour couronner le tout, Shanghai a été choisie en décembre pour organiser l’exposition universelle de 2010, donnant aux autorités chinoises une nouvelle occasion d’exciter la fierté patriotique de la population.

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